L’inconvenable droit au logement des peuples autochtones : entre précarité et recherche de dignité

Logements du village Baka de Djouze impacté par les travaux de construction de la route, novembre 2018 (Photo : CED)
27.09.2019
Le droit au logement des peuples autochtones au Cameroun est encore très précaire du fait des discriminations qu'ils subissent et de la non-reconnaissance de leur mode de vie dans les textes de loi, qui facilite leur délocalisation. La réforme foncière en cours offre l’opportunité de renforcer leurs droits fonciers et sécuriser leurs territoires, explique Romuald Ngono.  

 

Au cours de la soixante-quatorzième session de l’Assemblée Générale des Nations Unies, qui se tient cette semaine, la Canadienne Leilani Farha, Rapporteuse Spéciale sur le Droit au logement convenable, a présenté aux pays membres son Rapport sur le droit à un logement convenable pour les peuples autochtones. Cette présentation, qui se veut une interpellation mondiale sur la nécessité de s’assurer de la promotion et de la protection de ce droit fondamental des peuples autochtones, m’a amené à réfléchir sur la situation des peuples autochtones au Cameroun. Sur la base des critères d’identification établis par les Nations Unies (document Word), le terme « peuples autochtones » regroupe d’une part les Baka, les Bagyeli, les Bakola et les Bedzang, chasseurs-cueilleurs des forêts de l’Est, du Sud et du Centre ; et d’autre part, les Mbororos, éleveurs nomades transhumants de la savane et des montagnes.

Comme dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, des millions de personnes continuent à vivre au Cameroun dans des conditions insalubres, précaires et en totale insécurité. Si le problème touche tous les groupes sociaux, il se pose de manière significative chez les peuples autochtones, qui sont particulièrement vulnérables aux expulsions forcées, aux délocalisations, aux réinstallations involontaires et à la privation de leurs terres ancestrales et de leurs ressources. Cette insécurité foncière entrave gravement la satisfaction de leur droit au logement convenable.    

Un droit consacré dans les textes internationaux 

Tout le monde aspire à vivre dans un lieu en paix, en sécurité et dans la dignité : tel est l’esprit du droit au logement convenable dans les instruments internationaux. De la Déclaration universelle des droits de l’Homme à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, en passant par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, les nombreux textes internationaux  abordant le droit au logement renvoient à des libertés et à des droits qui englobent entre autres :

•    le droit de choisir sa résidence et de circuler librement ; 
•    l’accès sans discrimination et dans des conditions d’égalité à un logement convenable ; 
•    le droit de ne pas subir d’ingérences arbitraires dans son logement, sa vie privée ou sa famille ; 
•    la sécurité de l’occupation, soit une protection juridique contre les expulsions forcées et des garanties réelles et accessibles en cas d’expulsion (indemnisation juste et équitable et voies de recours efficaces) ; 
•    le respect du milieu culturel ; 
•    et la participation à la prise des décisions en matière de logement aux niveaux communautaire et national. 

Toutefois, cet idéal a du mal à être atteint au Cameroun, où le droit au logement des peuples autochtones reste encore très précaire. 

Négation culturelle et spirituelle 

Etroitement lié à leur situation foncière, le droit au logement des peuples autochtones ne bénéficie pas d’une réelle protection au Cameroun. En effet, ces peuples ont en commun l’attachement à leurs terres et territoires ancestraux, qui représentent la base de leur existence. La forêt, plus qu’un logement pour eux, est leur mère nourricière, leur source de santé, leur cadre de loisirs et de célébration culturelle et spirituelle. De surcroît, contrairement aux groupes dominants, les peuples autochtones perçoivent la propriété comme collective et basée sur le partage des ressources naturelles forestières et la consommation de produits issus de la forêt. 

Ces caractéristiques ont un impact certain sur leur droit au logement, notamment leur sécurité d’occupation, leur protection contre les expulsions forcées et la fourniture de garanties le cas échéant.

Dans les différents textes régissant le foncier au Cameroun (Ordonnances de 1974 et tous les textes subséquents), les spécificités du mode de vie des peuples autochtones, qui ne laisse pas d’emprise sur la terre, ont été ignorées dans un contexte de prévalence de la mise en valeur, qui suppose au contraire une emprise évidente de l’homme sur la terre de nature à modifier son environnement naturel. 

La violation de leur droit au logement convenable se fait ainsi au travers du développement de projets agro-industriels, d’exploitation forestière et d’autres ressources naturelles, ou de conservation de la biodiversité. Lorsque ces projets sont créés sur les terres traditionnellement occupées par les peuples autochtones, ces derniers n’ont pas voix au chapitre, et ne bénéficient pas de garanties procédurales de base en cas de violation de leurs droits.

Comme leurs habitats traditionnels ne correspondent pas aux critères d’identification d’une construction sujette à indemnisation ou compensation, ces logements sont systématiquement détruits au prétexte erroné que le matériel nécessaire à leur fabrication est facilement accessible, en négation totale de toute la dimension culturelle et spirituelle qu’ils revêtent. 

Dans certains cas, les peuples autochtones sont également expulsés par la force des zones de projet sans plan de réinstallation, et contraints de s’installer le long des routes, sur des terres coutumières bantous, où ils sont obligés de vivre dans des abris de fortune et de subir toutes sortes d’intimidations et menaces. 

Epineux, mais pas impossible

La situation des peuples autochtones montre bien l’indivisibilité et l’interdépendance qui existent entre les droits de l’Homme : la réalisation de leur droit au logement convenable suppose la reconnaissance de leurs droits fonciers coutumiers. Ces droits fonciers, essentiels pour l’équilibre et le bien-être, devraient être pris en compte dans la définition des politiques de logement au Cameroun.

Comment, dès lors, garantir le droit au logement des peuples autochtones ? Au regard de ce qui précède, la question est épineuse, mais pas impossible à résoudre. D’une part, la reconnaissance du mode de vie des peuples autochtones permettra d’intégrer leurs spécificités dans l’élaboration d’une politique nationale du logement. Dans cette optique, une synergie serait bienvenue entre le ministère de l’Habitat et du Développement urbain (en charge du logement) et le ministère des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières (en charge des questions foncières). 

Plus largement, l’adoption d’une politique et d’un cadre juridique tout entiers dédiés à la promotion et à la protection des droits des peuples autochtones permettra d’inscrire dans la loi des principes de base applicables à toutes les futures politiques ayant un impact sur eux.

En attendant l’élaboration de ces politiques cruciales, plusieurs opportunités existent de reconnaître et sécuriser légalement les territoires autochtones et leurs droits collectifs sur les espaces qu’ils occupent et et qui constituent leur habitat et les ressources qu’ils utilisent, parmi lesquelles la réforme foncière en cours. Cette réforme gagnera à intégrer la dimension socio-culturelle de certains types de constructions et d’habitat et à en tenir compte au moment des indemnisations.

Romuald NGONO OTONGO est juriste au Centre pour l’Environnement et le Développement (CED) et travaille sur la protection et la promotion des droits fonciers des peuples autochtones dans le cadre du projet LandCam.